Introduction
Après de longues années de périodes de régimes démocratiques interrompues par des coups d´état militaires depuis 1930 et surtout, après les “années de plomb” de la dernière dictature (1976-83), la plus cruelle et dévastatrice des dictatures, responsable de tortures, viols, enlèvements, de la disparition de milliers de personnes, de la faillite économique du pays et d´une guerre contre l’Angleterre en 1982 dans le conflit des îles Malouines (acte qui constitua le chant du cygne du plus sinistre régime militaire de l’histoire argentine), l´Argentine commença une période inédite de son histoire, dans laquelle un président remplace le précédent après la période présidentielle correspondante.
La société argentine assuma peu à peu la restauration définitive de la démocratie, malgré un processus de succession présidentielle qui s´est déroulé, en général, avec une certaine angoisse: le premier président de la démocratie récupérée, Raúl Alfonsín, dut subir deux soulèvements militaires et abandonna la présidence en anticipant presque d’une année l´élection présidentielle, en pleine crise économique avec une inflation galopante qui créa un véritable état de panique parmi la population.
La période postérieure se termina avec les gens manifestant dans la rue et le président partant du Palais Présidentiel presque en s’échappant devant la foule, dans son hélicoptère.
Immédiatement après, cinq présidents intérimaires se succédèrent dans le terme de dix jours.
Après cette période de graves troubles sociaux et politiques, une terrible crise économique (encore une), secoua la Nation, qui «célébra» la déclaration de l’état de «faillite» de l’État argentin par rapport au FMI.
Peu après, en décembre de l’année 2001, le dernier président intérimaire, décida la congélation des dépôts bancaires, pendant laquelle, les dollars épargnés furent convertis en pesos perdant ainsi les deux tiers de leur valeur. Dans le meilleur des cas, des millions de citoyens argentins prirent des mois ou des années à récupérer l´argent retenu par l’État dans le surnommée «petit corral». Cette mesure constitua une escroquerie qui empêcha temporairement les citoyens de disposer de l’argent déposé à la banque.
Dans la plupart des cas, les gens récupérèrent tout ou une grande partie de l’argent déposé en pesos mais seulement le tiers de l’argent déposé en dollars.
Le domaine psychologique
Dans le domaine de la psychologie, après la nuit des “longs bâtons” en 1967, où les militaires envahirent l´université et tabassèrent les professeurs et les étudiants, violant ainsi l’enceinte universitaire publique qui traversait la période la plus brillante de son histoire, des centaines de professeurs, de prestigieux psychothérapeutes et académiciens, furent expulsés de l´université, poursuivis, et dans certains cas kidnappés et assassinés.
Un bon nombre s´exilèrent parmi lesquels certains profitèrent de la restauration de la démocratie en 1983 et prirent la décision de revenir et d´autres, la majorité, partirent à tout jamais.
Ces événements se reproduisirent en 1976, avec une violence et une cruauté décuplée et beaucoup d´autres psychothérapeutes subirent le même sort.
Peu à peu, la psychanalyse d´orientation lacanienne commença à régner dans toute l’université.
Le langage abstrus et le manque d´intérêt manifeste à propos de la politique, plus une position spécialement acritique par rapport au régime dictatorial, leur assura la permanence dans les universités et produisit une hégémonie totale de la psychothérapie lacanienne pendant de longues années.
Récemment, à partir de l´année 1983, très lentement et surtout dans les universités privées qui actuellement, ont des programmes qui enseignent les diverses théories et les différentes pratiques cliniques, commença un certain intérêt pour l’insertion de la psychologie cognitive, gestaltique et systémique dans les cercles académiques.
De toute façon l’hégémonie de la psychanalyse en général, malgré la quantité de psychologues cliniques de diverses orientations, pénétra tellement dans le langage que, encore de nos jours, et malgré l´information des médias et le temps écoulé, la plupart des gens qui font une psychothérapie non psychanalytique disent qu´ils vont chez «l’analyste» systémique, au lieu de dire chez le psychothérapeute d´orientation systémique ou cognitive.
Néanmoins, les effets des nouveaux programmes et le plus grand nombre de choix et de nouvelles possibilités qu’offre actuellement la psychothérapie, et surtout, des patients, des clients plus informés, plus exigeants et moins soumis qu´à l´époque des régimes dictatoriaux, changèrent beaucoup le paysage de la psychothérapie en Argentine.
Les nouveaux clients n´acceptent pas le divan, préfèrent la symétrie du dialogue, l’échange, voir la discussion et non les longs silences angoissants, la relation complémentaire et la position de pouvoir d´un psychothérapeute «qui possédait tout le savoir» face à un patient ignorant, démuni de tout savoir qui attendait l´interprétation de l’oracle. Les clients actuels cherchent des solutions concrètes à des problèmes concrets. Les groupes d´autogestion ou coordonnés par un professionnel, la thérapie de groupe, les groupes psycho-éducatifs multifamiliers, la médiation et les interventions de réseaux prirent un énorme essor et avec le développement exponentiel des ONG, la façon de produire des changements, de résoudre les conflits et les difficultés, se modifia énormément avec l’apparition de nouveaux procédés, notamment plus adaptés aux nouveaux contextes.
A mon avis, la récupération définitive de la démocratie apporta donc des possibilités inédites, et aussi, bien sûr, de nouveaux conflits. Mais elle mit définitivement un terme aux régimes militaires et les coups d´Etat qui comptaient sur l´appui implicite et explicite d´une bonne partie de la population civile, de certains partis politiques, de certains intellectuels, d´une partie de la presse et du clergé catholique.
A partir de ce moment-là, commença le long et caillouteux chemin vers une société non autoritaire, qui décide de passer de la longue nuit du silence, des secrets et de la délation, aux problèmes et différences mis à jour, aux risques de la libre expression des différences, à la résolution pacifique des conflits familiaux et sociaux. Comme dans une thérapie de famille ou de couple, dans laquelle, chaque membre, chaque version, chaque récit sera écouté avec respect, tous les acteurs d´une Démocratie, tous les secteurs du conflit social, auront le droit, tour à tour, à la parole et leurs points de vue seront légitimés.
La Crise de l´État Providence
Finalement, la crise de l´État Providence, explosa dans les années 90 pendant la présidence très corrompue du président Menem, avec l´application sauvage des formules économiques neolibérales (la même politique économique que celle du régime dictatorial 1976-82), et déstabilisa la société argentine d´une façon inédite et dévastatrice.
L´effet de ces mesures économiques néo- libérales globalisantes, pulvérisait les réseaux de protection sociale et produisait une croissance dramatique du chômage qui atteignit toutes les couches sociales, chefs d’entreprises, cadres moyens, ouvriers.
La répercussion sur la famille fut terrible: la hiérarchie familiale s’ébranla, la perte du rôle du père, réduit au chômage, eut comme conséquence, dans beaucoup de cas, la dépression, la violence, l’alcoolisme et l’abandon du foyer familial de ces hommes sans travail et sans protection de l´Etat; les femmes, déjà auparavant, plus au moins engagées dans le marché du travail, furent littéralement précipitées sur le marché du travail et beaucoup d’entre elles, dans le meilleur des cas, assumèrent la responsabilité d’entretenir leurs familles.
De leur côté, les adolescents et les enfants eurent la perception de la perte de la Famille Providence de la classe moyenne majoritaire (déjà très éprouvée par les crises antérieures), classe sociale qui caractérisa l’Argentine tout au long de son histoire.
Cet attentat contre la famille déchaîna toute sortes de pathologies: violence, abus, addictions, alcoolisme, délinquance en général, et juvénile en particulier, prostitution et le démembrement de beaucoup de familles, dû à l’émigration forcée de certains de leurs membres ou le déracinement de familles entières. Certaines sont retournés ces dernières années et d’autres, comme auparavant, sont parties à jamais.
Fonctions des Familles: la famille, un réseau relationnel
Le cri provocateur d´ André Gide – ”Familles je vous hais! – qui eut tant de succès dans les années soixante,
enclins aux Communes et au vagabondage, a l´air d´avoir été remplacé de nos jours par un soupir
discrètement murmuré: Familles on vous regrette. (Fernando Savater)
Beaucoup de professionnels spécialisés dans l’étude des familles dans le contexte actuel, observent un croissant prestige de celles-ci dans notre société, engendré par un plus grand besoin psychologique que nous avons d´elles et par la perte de leur importance institutionnelle. A propos de ceci, Luis Flaquer ( 1998) affirme:
“La perte du poids de la famille dans l´organisation sociale a été suivie d´une importance croissante de celle-ci comme source d´identification émotionnelle. Au fur et à mesure qu´elle se voit privée d´importance comme institution, plus nous l´estimons. Un des principes des sciences économiques c´est que nous estimons précisément le manque et non l´abondance.
Dans le domaine de l´affectivité, il se passe exactement la même chose: si dans les années soixante la famille était de trop, aujourd´hui elle nous manque”.
Et il ajoute : «La famille est un groupe humain dont le sens, la raison d´être, est la procréation, l´éducation et la socialisation des enfants. Nous retrouvons ce microsystème élémentaire de parents, dans presque toutes les sociétés”.
Le groupe familial se constitue, pour certains auteurs, comme la base de la position sociale, noyau des relations sociales, voie pour trouver un emploi, appui et soutien en cas de crise, protection et pourvoyeur de soins en cas de problèmes de santé. Pour la majorité de la population, la qualité essentielle de la vie familiale est un contrat ou engagement émotionnel et affectif, malgré les conflits et les difficultés internes qu´elle puisse avoir.
Famille, société et le retour aux sources : Le “J´accuse l´Intégrisme Économique” d´Albert Jacquard, et “La Refondation antropologico-politique” d’ Edgard Morin.
«On nous affirme que l´économie gouverne le monde, que les lois de la rentabilité et du marché constituent une vérité absolue . Mais une société humaine peut- elle vivre sans autre valeur que la valeur marchande?
Quiconque conteste cette nouvelle religion est aussitôt traité d´irresponsable”, écrit Albert Jacquard, et il nous montre les méfaits de l´économisme fanatique qui prétend aujourd´hui nous gouverner. Dans son livre “J’accuse: l´économie triomphante”, il nous invite à refuser la fatalité de l´intégrisme économique.
Le libéralisme à l´occidentale – affirme Jacquard – est synonyme d´esclavage pour la grande majorité des hommes qu´ils soient citoyens des pays du Sud ou relégués dans les couches défavorisées des pays du Nord.
La tâche la plus urgente n´est pas de livrer, comme le font actuellement la Banque mondiale et le F.M.I., les démunis à l´appétit des nantis, mais de préserver durablement les garanties sociales ou écologiques obtenues par certains, souvent au prix de dures luttes,. Puis d’étendre ces garanties à tous les terriens.”
Et il ajoute plus tard:
«La richesse de la collectivité est générée par la mise en communication de ceux qui ont des besoins et de ceux qui peuvent y répondre. La richesse, c´est les autres. Ou, plus exactement, c´est la possibilité d´échanger avec les autres … L´acte constitutif de la personne humaine est l´échange… C´est le fait d´échanger qui est un besoin, non le contenu de cet échange.»
Cette analyse renforce le besoin et l´importance des liens humains, de la société d’échanges, de la communication et elle met l’accent sur le passage de l´intégrisme économique à l’intégration de la diversité humaine que nous pouvons imaginer comme la grande famille planétaire.
Edgar Morin de son côté (1997) s´exprime ainsi:
“il faut réintroduire l´être humain comme moyen, fin, objet, et sujet de la politique… Autonomie et dépendance sont inséparables, puisque nous dépendons de tout ce qui nous nourrit et nous développe; nous sommes possédés par ce que nous possédons: la vie, le sexe, la culture. Les idées de libération absolue, de conquête de la nature, du salut sur terre relèvent d´un délire abstrait. Mais l’homme… est un être trinitaire, individu / espèce/société, s´autoproduisant et s´autodétruisant dans son histoire… Il s´agit en même temps, de rétablir dans toute sa complexité, un être qui ne se réduit pas aux rapports de production, ni aux relations économiques, mais qui est à la fois biologique, social, économique, mythologique. La patrie terrestre n´est pas abstraite, puisque c´est d´elle qu’est issue l’humanité… la diversité humaine est le trésor de l´unité humaine, laquelle est le trésor de la diversité humaine. D´où le double impératif: retrouver et accomplir l´unité humaine dans l´épanouissement des diversités. A la fois sauver singularités et diversités et instituer un tissu commun.”
La famille réseau relationnel comme domaine de la thérapie familiale
La famille, ce microsystème essentiel de l’humanité, est une excellente métaphore incarnée de ce tissu commun, de cette unité dans la diversité dont nous parle Morin. Cette famille qui subit en Argentine (et ailleurs), de véritables attentats de la part de cette société de consommation, de la Loi du marché dénoncée par le professeur Jacquard est, précisément, le domaine de la thérapie familiale. Lorsque cette unité composée d’individus de sexe et d’âge différent, issus de milieux sociaux plus ou moins favorisés ou défavorisés, appartenant à de diverses cultures, à de différentes religions, nous convoque, c´est parce qu’elle ressent le besoin d‘aide face à l’addiction d´un ou de plusieurs de leurs membres, à la violence familiale, à l’anorexie, à l´abus sexuel entre d’autres conflits ou problèmes possibles, sans compter les maladies dites psychiatriques, ou la crise de la famille à partir du chômage ou de la maladie organique grave d´un de ses membres, sans compter l’effet des crises déclenchées par le cycle vital familial.
La thérapie familiale répond à ces défis, en activant les ressources des membres de la famille, en les aidant à s´entraider, à être plus solidaires, plus émotionnellement intelligents, à mieux communiquer entre eux, à retrouver l´écologie protectrice et l´ambiance non polluée de l´affectivité familiale et en même temps, en améliorant et en augmentant la connectivité, l’appartenance et la participation active de ces familles avec leur entourage immédiat.
Ce ressourcement des racines du bien–être familial, bénéficie d´un macro- écosystème démocratique qui malgré tous ses défauts ou limitations, nous permet la possibilité de la correction permanente, de la résolution civilisée des conflits. Cette écologie démocratique possède une structure hiérarchique, des règles de fonctionnement, un système de récompenses et de sanctions, ainsi que des systèmes plus ou moins efficaces, imparfaits mais perfectibles, de protection de l´enfance et de la vieillesse.
En fait, la famille, comme l’État Démocratique, s´occupe en principe et par principe, de l’éducation et de la santé de ses membres.
Il est assez évident que nous pouvons retrouver certaines analogies ou plutôt, des analogies certaines, entre le macro système de la Démocratie et le micro- système de la famille comme organismes vivants, co-évoluant dans une interdépendance enchevêtrée, en une spirale infinie de boucles d´interactions et de rétroactions.
Irène Théry (1997) considère que la famille contemporaine n´est plus une institution mais un réseau relationnel. La famille n´est plus ce qu´elle était parce que sa fonction s´est modifiée radicalement. Ainsi, François De Singly, traduisant bien l´opinion généralisée des studieux de la famille, résume:
“Oui, la famille a changé. Non seulement son cadre institutionnel a éclaté en morceaux, sinon que sa fonction essentielle s´est modifié dramatiquement. Pendant longtemps son but fondamental a été la transmission du patrimoine économique et des traditions morales d´une génération à la suivante. Actuellement, la famille tend à privilégier la construction de l´identité personnelle, autant dans les relations conjugales comme dans celles parentales-filiales”.
De ce point de vue, la famille comme groupe peut être considérée comme le produit de l´individualisation démocratique et non comme opposée à celle-ci.
“En consonance avec un mouvement de croissante psychologisation et sentimentalisation du phénomène familial, l´idée dominante dans l´actualité est l’intersubjectivité. C´est la raison d´être de la famille, de lamême façon que l’amour est son principe de fonctionnement.” (Théry, 1997)
Malgré la diversité d´opinions sur l’état actuel de la famille, malgré les discussions entre les “pessimistes” (la famille est une espèce en voie de disparition), et les “optimistes”(la famille se porte parfaitement bien), elle conserve certaines de ses fonctions essentielles, en délaisse d’autres, change et en crée de nouvelles, les changements étant propres à l’évolution, surtout dans des macro-écosystèmes démocratiques.
Il s´agit donc d’ accompagner activement la co- évolution de la démocratie en tant qu’environnement salutaire de la famille et de la famille, en tant qu’environnement salutaire de l´individu.
Accomplir la même tâche, à l’égard de l´organisation démocratique et familiale en tant que réseaux relationnels, comme facteurs fondamentaux de la construction de l’identité individuelle, en tant que facteur de cohésion sociale, sont les deux buts essentiels de la thérapie familiale systémique qui s’oppose ainsi, à l’entropie de l’exclusion, de la marginalisation et à la vision d’un horizon clos, sans avenir donc sans espoir, de la société contemporaine.
La Thérapie Familiale
« Si vous voulez voir apprenez à agir » (Heinz von Foerster)
La thérapie familiale systémique est une pratique encadrée dans une épistémologie qui non seulement réunit, éventuellement, les membres d´une famille, d´un couple, d´une organisation, pour travailler ensemble, mais surtout qui se caractérise “par un accent mis sur les règles de la communication interpersonnelles, sur les processus interactionnels (modèles restreints par le temps), sur les structures interpersonnelles (cartes enracinées par l’espace, frontières rigides ou floues), sur les processus fonctionnels (les rapports entre les systèmes micro, meso et macro), sur les processus évolutifs (genèse et changement dans les systèmes) et sur les processus récursifs de second ordre (rapport entre celui qui observe et ce qu´on observe), ce qui, à son tour, a conduit à des enquêtes sur ce qui constitue la réalité,
et sur le rôle central des récits en thérapie«. (Sluzki, 1991).
Approche psychothérapeutique multiple et simultanée des différents systèmes.
J´ai été appelé pendant les années 1993-97, à participer dans la Secrétairerie des Addictions de la province de Buenos Aires, la plus peuplée des provinces de l’Argentine (le tiers de la population argentine). À ce moment-là, la situation était très grave et ce n´était que le début: les chiffres de l’économie allaient bien mais chaque jour on fermait des usines, le chômage atteignait des proportions alarmantes et les villes se peuplaient de mendiants, ce qui était très loin de caractériser l’Argentine : la mendicité à grande échelle n´était pas un phénomène connu en Argentine. Et pourtant, cela, non seulement arriva, mais s´installa jusqu´à nos jours, malgré certains progrès actuels.
Reprenant le sujet de ma participation professionnelle, nous avons travaillé avec le macro système d´une population de 12 millions d´habitants en pleine décomposition de ses réseaux (hôpitaux, écoles, associations diverses, clubs sportifs), ce qui déchaîna une violence sociale, abus de drogue et d’alcoolisme et un niveau alarmant de la délinquance juvénile. Les idées fortes qui guidèrent notre intervention furent la pensée complexe du professeur Edgar Morin, invité par la Secrétairerie, l’approche systémique constructiviste et la notion de réseaux humains. Nous savions que des variables multiples conspiraient à la déroute généralisée: facteurs politiques, économiques, le poids de certaines institutions gouvernementales comme par exemple la police de la Province de Buenos Aires, liée à la répression plus sanguinaire et délictueuse du dernier régime militaire, était devenue une des plus corrompues de tout le pays, complice des trafiquants de drogue et très difficile à contrôler.
Les éducateurs, les directeurs d´école, les maîtres de l´école primaire et spécialement les professeurs des écoles secondaires étaient débordés.
Une réflexion théorique sur cet écosystème en crise: micro, meso, exo et macro-système
«Un être humain n´est un individu que dans le contexte de systèmes sociaux où il s´intègre, et sans êtres individuels il n´y aurait pas de phénomènes sociaux humains » (Humberto Maturana)
L´analyse ecosystémique des relations familiales nous dit que la première couche sociale concerne les relations entre l´individu et son entourage immédiat, la famille. Dans nos cabinets de consultation, nous commençons notre travail avec ce microsystème engagé dans un processus co-évolutif entre ses membres. Mais nous savons que, bien que la famille possède des ressources très importantes, la capacité et les efforts des parents d’élever, de prendre soin et de veiller sur leurs enfants avec une certaine possibilité de succès dépend, en bonne partie, de l´environnement social de ces familles.
Cette deuxième couche écologique selon Bronferbrenner (1997), le meso système, concerne les relations entre les microsystèmes. C´est à dire, l´interrelation entre les principaux milieux qui accueillent et participent dans l’ éducation et le développement d´un être humain pendant une période particulière de sa vie. Par exemple les relations entre la famille et l’école: un microsystème affectera l´autre et réciproquement.
La troisième couche, selon ce même auteur, est l’éxosystème: le monde du travail, les caractéristiques du quartier, le réseau des relations sociales, la distribution de biens et de services. Ainsi les événements qui se produisent dans le milieu du travail des parents, va nécessairement avoir des conséquences sur la vie des enfants.
Finalement, la quatrième couche, le macrosystème, représente les valeurs culturelles, le système des croyances et les événements historiques (guerres, crises sociales, inondations etc.) qui peuvent affecter les autres systèmes écologiques. C´est à dire, quels sont les préjugés sociaux de cette société ? Quelles sont les attitudes de ce contexte social en particulier à l’égard de la drogue, de la sexualité, de la question des immigrants, à propos de l’avortement ?
La santé des familles dans une société dépend donc, de ce que les enfants et les parents, aient la possibilité d’établir une connectivité salutaire, des liens solides et durables avec d´autres systèmes humains en dehors du milieu familial.
Et cela dépendra à son tour, de la forme et de la façon dont les forces externes pénétreront dans le foyer familial et réguleront, d´une certaine manière, les relations entre les parents et leurs enfants et surtout, les règles de conduite de l’entourage immédiat de la famille et les circonstances socio-historiques et de la culture qui constituera le macro écosystème de ces familles.
Dans l´exemple de l´intervention menée dans la Province de Buenos Aires par la Secrétairerie, nous devions agir simultanément sur le micro, sur le meso, sur l´exo et sur le macro système.
L’approche systémique
En plus des contributions bien connues de la pratique systémique, comme les interventions dans le contexte de la communication, la correction du dysfonctionnement de la structure familiale; le blocage de la solution essayée; la possibilité de créer de nouveaux chemins évolutifs, et surtout, de réécrire de nouveaux scénarios, de créer de nouveaux récits, apparue dans les années 80, s´installe, et fait naître les approches constructivistes.
Basés sur les récits, qui étaient déjà présents, dans les écrits de Paul Watzlawick, dans la technique de recadrage de l’équipe de Palo Alto et dans la psychothérapie hypnotique de Milton Erickson, ces modèles sont devenus l’avant -garde du développement des idées dans le domaine de la thérapie familiale, créant ainsi, avec le temps, une façon de concevoir la psychothérapie, la Thérapie Narrative, qui imprégna le champ systémique et cognitif et les domaines de la médiation et de la résolution de conflits.
En tout cas, la formulation schématique: “la description du problème constitue le problème” peut être considérée comme l’équivalent de: “les problèmes existent dans la description que nous utilisons”, “les problèmes sont des significations autour desquelles on organise des comportements problématiques” et “le changement est le processus de dire différemment les choses”. Toutes ces formulations partagent un élément commun: le DIRE, autrement dit, la praxis du langage, le fait de raconter des histoires, la description des faits étant finalement, un récit probable entre autres.
En utilisant ce modèle comme point de repère, on peut utiliser la thérapie familiale comme la pratique d´aider les gens à transformer leurs histoires, leurs récits, afin d´augmenter le nombre et la qualité de leurs choix, de leurs possibilités, de leurs jugements de valeurs et pour dissoudre le problème jusqu´alors ancré dans leur vieux récit. Les descriptions, les histoires, c´est à dire les structures narratives, sont des systèmes sémantiques qui renferment comme éléments un scénario (“quoi”), des personnages (“qui”) et un contexte ( “où et quand”). (Sluzki C. 1991).
Intervention dans la province de Buenos Aires :
Du scénario “Chacun pour soi”, assistez–nous, nous sommes à bout, au scénario “Un pour tous et tous pour un”, travail d´équipe solidaire et stimulation de la résilience.
La Secrétairerie des Addictions, m’a chargé, avec d´autres collègues, de former les professionnels qui travaillaient dans les centres de récupération des addictions établis dans les différentes villes et quartiers de la Province.
Tout d´abord, l´approche systémique a permis à ces travailleurs sociaux, à ces psychothérapeutes, de se contacter et d´intervenir dans le milieu familial, c´est à dire dans un premier niveau, micro systémique, mais pourtant plus complexe et plus efficace que le toxicomane isolé, comme s’il s’agissait d’une problématique individuelle.
En même temps, j’ai aussi participé dans la formation des éducateurs, des curés de paroisses et des volontaires ou coordinateurs non professionnels des centres où se réunissaient les voisins des différents quartiers. De cette façon, nous avons travaillé pour amplifier les cercles concentriques de l’intervention systémique à un niveau meso systémique.
Peu à peu, nous avons commencé à nous déplacer, avec l’intention d’atteindre un nouveau cercle concentrique, l’exosystème: le quartier était convoqué, les réunions se déroulaient dans les écoles, dans les paroisses, dans des grandes salles de conférence ou de théâtre, dans les installations de clubs sportifs. Les autorités, les directeurs des écoles participaient et s´engageaient dans le combat contre la drogue.
Et surtout, les jeunes étaient convoqués et pouvaient exprimer leur colère et leur détresse, poser des questions, parler des professeurs et de la maltraitance qu´ils subissaient chaque fois qu´ils étaient accusés de mauvaise conduite ou de manque de respect envers les autorités scolaires. Je me rappelle qu’ils étaient très surpris quand je leur demandais de monter sur la même scène que les conférenciers et je leur passais le micro.
A la fin de ces réunions, ils s´approchaient et ils me demandaient généralement, qu’ est- ce qu´ils pouvaient faire pour ces camarades qui se droguaient et à l´égard des dealers qui se trouvaient à la sortie de l’ école ou à ceux qui vendaient la drogue dans les écoles.
La Secrétairerie s´est occupée spécialement de la jeunesse. Celle-ci constitue la cible préférée des dealers. Ils ont donc été convoqués, non pour leur faire la morale ou pour les informer mais pour qu´ils s´engagent dans le combat contre la drogue, pour aller à la rescousse des amis, des parents, des copains de l’école ou du quartier, et, essentiellement, pour former des leaders, «Dix Mille Leaders pour la Vie» comme le Dr. Juan Yaría, directeur général de la Secrétairerie, a appelé le programme destiné à ces jeunes.
Finalement, sous la direction inspiratrice et intelligente du Dr. Yaría, le programme s´est mesuré avec le macro système et a misé toutes ses forces dans la prévention. Des intellectuels réputés ont été convoqués à participer dans ces conférences massives, à écrire des articles dans les journaux, à parler à la radio, à participer dans des programmes de Télé.
Moi-même, j´ai publié deux numéros spéciaux de Perspectives Systémiques, le journal de thérapie familiale que je dirige, qui ont été consacrés aux réseaux et à la pensée complexe appliqués à la toxicomanie et distribués, gratuitement, à des milliers de professionnels et de volontaires qui participaient dans ce programme d´assistance et prévention de la toxicomanie.
La complexité empirique, la présence de variables aléatoires, des intérêts politico- économiques puissants et corrompus, ont été affrontés avec une grande énergie, avec une attitude déterminée et surtout avec une stratégie intelligente qui contempla, dès le début, la complexité, appliquant un programme d´approches multiples, une organisation à la mesure de l’énorme défi que signifiait une Province de Buenos Aires surpeuplée, avec des quartiers populaires très défavorisés, des véritables bidonvilles ( “cités de la misère”), sans eau courante ni électricité.
On a donc évité, la démarche démagogique, très utilisée par les partis politiques, «l´assistancialisme» qui nourrit la dépendance, le circuit homéostatique aumône-charité, et on a plutôt encouragé les initiatives, la proactivité, la prise en charge et le fait de réapprendre à se rassembler, à s´entraider, à se dire «qu’ensemble c´est plus facile, qu’ensemble c´est possible».
Nous ne faisions qu’utiliser de vieilles traditions argentines, de l’époque des immigrants européens qui ont construit ce pays, traditions et valeurs qu’il fallait reprendre et réapprendre.
Rappelons-nous qu’apprendre signifie, en termes cybernétiques, qu’un système est capable de modifier son comportement et éventuellement, son mode d´organisation interne, en fonction de l’analyse des résultats de son action. L’information n´est pas une donnée stable mais un processus. L’information est le nom du contenu de notre échange avec le monde extérieur pendant que nous nous ajustons à celui-ci et que nous lui faisons subir le processus de cette adaptation. Pour Norbert Winner, père de la cybernétique, «la communication est le ciment de la société et ceux dont le travail consiste à maintenir libres les voies de communication sont ceux-là même dont dépend, surtout, la pérennité ou bien la chute, de notre civilisation».
Mais Winner, non seulement parlait des régimes dictatoriaux mais il a anticipé et a durement fustigé la soumission de la presse et de la radio aux seuls intérêts commerciaux, c´est-à-dire, le stockage de l’information. Les voies de communication sont étranglées et mutilées – disait-il – si elles sont soumises à la seule loi du profit. La transformation de l’information en marchandises stockables est inévitablement synonyme de dégradation et d´affaiblissement du courant continu qui doit irriguer la société.
De même pour l´accessibilité de l’information, malgré ce qu’on appelle les impératifs de la sécurité nationale, ce qui implique la discussion de l’aspect éthique de la communication.
Bon nombre de nos interventions à cette époque -là, évoquaient l’action des télé-évangélistes américains, ces pasteurs médiatiques des Etats -Unis qui prêchent la bonne parole à des millions de téléspectateurs. Cela s’est produit fréquemment dans notre travail dans des grandes salles, et par téléconférence simultanée à des milliers de téléspectateurs, dans toute la géographie de la grande province de Buenos Aires et de l’Argentine.
En tout cas, même dans mes consultations privées, j’ai toujours le souci d´aider les membres du système consultant, à réparer, à rétablir, à recréer ou renouveler, les maillons des liens familiaux et ceux concernant les amitiés ou les institutions de leur entourage immédiat.
Les techniques et la pratique de la Thérapie Familiale
La démocratie va permettre et admettre le divorce, les couples et familles homosexuels (toujours en discussion quand même, mais pourtant beaucoup moins déniées socialement), elle va s´occuper des familles monoparentales, des familles recomposées (“stepfamilies”) etc. La diffusion d´une information précise et sans détours, évite ou aide à corriger la maltraitance familiale ou institutionnelle. Elle contribue à la prévention et l’assistance contre l’abus sexuel des enfants qui peut être dénoncé et surveillé, de même que, beaucoup de sujets tabous et secrets vont être dévoilés et discutés dans les ecosystèmes démocratiques.
Mais, si cette liberté individuelle qu´elle proclame, n´est pas fraternelle, c´est à dire solidaire et ne compte pas avec les réseaux nécessaires pour aider à l’égalité des opportunités pour tous les individus de cette société, à l’accès à l´éducation et à la santé, à la protection de l’Etat, si elle se soumet à la loi du marché, l’homme devient le loup pour l’homme, comme nous pouvons le constater tous les jours.
La partialité multidirectionnelle de Boszormeny- Nagi(1966), dans les débuts de l’histoire de la thérapie familiale, exprimait clairement une idée de justice, un “à chacun ses mérites, ses récompenses, ses droits et ses responsabilités«.
La validation des sentiments, de chaque récit, la légitimation de la vision-version du conflit familial de chaque membre de cette famille qui fait appel à nous, est conceptualisée par l’équipe de Milan avec l’introduction du concept de la neutralité. Celui-ci engendre une relation d’empathie du thérapeute ou du médiateur, à l’égard de chaque consultant et l’aide à maintenir une metaposition à l’égard de tous. Plus tard, le concept de la curiosité de Gianfranco Cecchin, (1989), permettra des interventions comme les
questions circulaires, qui serviront pour relier les liens familiaux et avec la contribution de la pratique de Tom Andersen des équipes réfléchissantes, elles serviront à construire une autre façon de parler et d´agir en conséquence, non problématique ou conflictuelle et d´augmenter ainsi le nombre d’options.
Sachons bien, de toute façon, que dans le contexte de nos actuelles démocraties nous avons à faire à des familles mais aussi à des multinationales, des fois alliées à des gouvernants complices, avec des médias qui appartiennent à ces gouvernants qui parfois appartiennent au monde des affaires, associés avec des fonctionnaires et des syndicalistes vénaux. Nous avons donc à faire à des familles, mais aussi à des valeurs, à des idées sur le succès, à l’idéologie des winners (gagneurs) ou des losers (perdants) de la société de consommation.
L´exemple du consultant traumatisé par l’ exil forcé et par le processus du « déséxil »
Jean, 35 ans, revenait de son exil en France et il m’a demandé de le soigner de son «trauma du déséxil«, c´est à dire du fait d’être parti comme exilé politique pour sauver sa vie, pendant le dernier régime militaire à cause de son militantisme politique, et des difficultés et des symptômes qu’il avait depuis son retour en Argentine en 1983, lors de la restauration de la démocratie. Après les moments d´empathie, d’écouter simplement son récit avec respect et considération, de comprendre sa souffrance, j’ai commencé un travail minutieux sur le récit général et sur les mots avec lesquels il décrivait le problème qui l’accablait. Je lui ai proposé, peu à peu, de nouveaux mots qui ont commencé, peu à peu, à s´insérer dans son récit originel et à le modifier subrepticement: le trauma, comme nous le savons bien, est un mot-concept qui incarne la souffrance passive, des marques indélébiles et un long travail d’un sujet qui doit être soigné parce qu’il est malade et surtout, gravement atteint.
En effet ses expériences avaient été très dures, il éprouvait un double déracinement, d’abord de son pays, de sa culture d’origine et puis, une fois qu´il était arrivé à s´intégrer à une culture différente, après de longs efforts, il a décidé de rentrer et de recommencer sa vie en Argentine, huit ans après son départ précipité. Vous remarquerez que j’utilise le mot ‘expériences’ et pas trauma. J’ai fait exactement cela avec Jean: d’abord, tout en comprenant sa douleur, je lui ai demandé quels avaient été ses apprentissages en France, un pays de longue tradition démocratique, avec une culture tellement riche et différente de la nôtre. Peu à peu, il a commencé un récit différent, où, guidé par mes questions d’abord et presque spontanément ensuite, il a commencé à me décrire comment, au début, il s’était réfugié parmi d’autres exilés argentins et qu’ensuite, il avait trouvé un travail. Pendant ce temps, avec beaucoup d´effort, il avait appris la langue française; il a connu une jeune femme française et il a vécu les dernières années de son séjour en France avec elle (nous avons employé de plus en plus le mot séjour au lieu du mot exil).
Je suivais le récit avec un étonnement sincère, en intercalant des micro- interventions, surtout des connotations positives, à propos de sa capacité de survivre d´abord, de s’adapter ensuite et finalement, de s’intégrer dans ces nouvelles et éprouvantes circonstances avec des difficultés certainement, mais avec un succès évident, face aux multiples défis et obstacles qu’il a du surmonter. Après quelques conversations de ce genre, nous avons conclu que l’expérience l’avait fait mûrir, qu’il avait appris une langue étrangère ce qui, soit dit en passant, lui a permis de travailler chez Air France en Argentine et qu’en effet, le retour d´une personne, au-dessus du citoyen argentin moyen, quelqu´un avec son expérience de vie, avait des difficultés logiques à se retrouver dans un pays qui faisait ses premiers pas dans la vie démocratique.
Peu après, plusieurs de ses compagnons d´exil m’ont ensuite visité, et aucun ne m’a demandé de les soigner du trauma de l’exil.
Jean, fier de son passé, de son voyage, de son expérience de vie en France et de son amour pour son pays d´origine, n’a jamais plus prononcé le mot trauma pour parler de ses expériences de l’exil-séjour ou de son retour en Argentine.
Conclusions: Défis et Possibilités de la co évolution du macrosystème Démocratie et du microsystème Famille comme communauté de Destin
La Démocratie est à mon avis comme psychothérapeute systémique constructiviste, et comme citoyen d´un pays qui a beaucoup de mal à construire un contexte démocratique, la meilleure des organisations ou des écosystèmes de coexistence et d´évolution sociale possible; je dirais la même chose de la famille à l´égard de la formation et du développement de l’individu.
La démocratie avec ses règles du jeu, ses lois, ses droits et ses obligations, est un système ouvert au changement: le fonctionnement de chaque étape de son cycle vital, constitue un processus de transition. Et cette transition comme état permanent et structurel de la démocratie, nous rappelle le processus du développement des organisations sociales et des institutions, celui du cycle vital familial et celui du développement évolutif d´un individu. Individu et groupes humains qui sont influencés par leur écosystème mais qui en même temps, agissent sur le système dans une boucle récursive d´actions et de rétroactions.
Quand nous travaillons avec des familles ou des organisations ou des institutions, nous savons qu´il s´agit d´un tissu vivant, en permanente transformation.
Notre observation et nos interventions constituent, en quelque sorte, une intrusion plus ou moins respectueuse dans les systèmes consultants, et réciproquement, ces systèmes observés et perturbés par notre action, agissent sur nous et nous modifient.
En plus, nous avons un autre grand défi, nous ne travaillons pas sur la “véritable” famille ou sur le système “réel”. En fait, nous découpons continuellement une partie de la «réalité», pour pouvoir intervenir et amplifier les possibilités des membres de ce système face à un certain problème.
Quand nous posons la “question du miracle” (De Shazer, 1982) : « Comment serait votre vie sans ce problème ? », « que feriez-vous de différent si le problème, miraculeusement n´existait plus? », « comment les gens qui vous entourent se rendront-ils compte que vous n´avez plus cette difficulté ? », nous proposons une conversation différente. Nous acheminons nos consultants vers la carte de la thérapie orientée vers les solutions (« solution oriented therapy »), une pratique thérapeutique qui, depuis le début, va à la recherche des solutions, qui fait surgir les conduites que nous aurions sans ces difficultés et qui réveillent des ressources inconnues ou simplement oubliées, des aspects résilients de nos consultants.
Ces ressources sont donc stimulées par un langage direct comme celui de Salvador Minuchin et son modèle d´intervention structurelle, ou indirect ericksonienne, qui mène en tout cas, à l’action, au changement, et déclenche une attitude proactive qui engendrera des nouveaux apprentissages et parfois, des « deutero apprentissages » ( Gregory Bateson), c’est à dire l’expérience d’apprendre à apprendre.
La réponse aux questions inductives de De Shazer, crée la possibilité d´un avenir différent, où le problème n’existe plus, et où l’on peut imaginer des conduites plus efficaces, des attitudes plus optimistes, des relations moins conflictuelles et plus affectives. Cet avenir imaginé en détail, nous sert à agir sur notre contexte actuel, à corriger ou à modifier notre présent comme nous l’avons déjà vu dans le cas des exilés et de la Secrétairerie des Addictions.
Dans des sociétés parfois indifférentes, des fois anomiques, des fois d’un grand manque de profondeur, égoïstes et compétitives, ce sont, finalement, ces deux aspects, l’imagination créative et la recherche inlassable de ressources liées à la solidarité, à l´idée de » communautés de destin «( Morin, 1997), ce qui nous permet d’imaginer une réalité différente, un avenir relié aux autres par la possibilité de créer des intimités communes, reconnues et bonnes pour
chacun et des intimités personnelles, respectées par soi et par les autres.
La démocratie et la famille sont des constructions absolument nécessaires mais pas suffisantes.
Ce sont les valeurs et les règles de cohabitation entre les acteurs de ces systèmes interdépendants qui font et feront la différence. La différence entre des rapports hostiles ou amoureux. Entre l’espoir et le désespoir.
Quand nous formons une véritable alliance thérapeutique avec nos consultants, quand nous comprenons leur façon de produire des changements, leur motivation, leur langage et leur façon de coopérer, nous devenons, à la fois, les témoins bienveillants et curieux et les catalyseurs discrets de ces processus de changement, de réorganisation structurelle et de production de nouveaux récits, grâce auxquels les symptômes s’estompent, le tissu relationnel se régénère, le passé est résignifié et le présent et l’avenir s’allient pour transformer les rêves
en réalisation.
Buenos Aires, Mai 2006
CIRCF conférence Lyon 2006 51
Note de l’auteur
(*)« Pathologie de la Famille et Interventions thérapeutiques dans un environnement démocratique : quels effets ? », Mai, 2006, Exposé de la 53ème Conférence Internationale du CIRCF (Commission Internationale des Relations du Couple et de la Famille ( « Famille et Démocratie, Compatibilité , Incompatibilité Chance ou Défi », 7 -10 Juin, 2006). Ce travail a été publié dans le site et dans le cahier de l’ Exposition 2006 du CIRCF, en anglais et en français.
(**) Claudio Des Champs est psychologue de l’ université de Buenos Aires, psychothérapeute individuel, de couple et de famille. Professeur universitaire et enseignant et superviseur fondateur de ESA (École Systémique Argentine).Editeur fondateur et directeur du journal Perspectivas Sistémicas -Perspectives Systémiques- (1988- 2007) et dirige le site : www.redsistemica.com.ar. Professeur invité à l’ IFATC ( Institut de Formation et D’ Application des Thérapies de la Communication).(deschamps54@hotmail.com)